Leçon n°1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
(cliquez sur les titres des parties et des paragraphes pour faire apparaître le texte et les documents de la leçon)
L'histoire est le récit, exact et fondé sur des preuves, des faits qui se sont déroulés dans un passé plus ou moins reculé, alors que la mémoire est le rapport qu'un individu, un groupe ou une société entretient avec son passé. Les mémoires sont donc forcément diverses et changeantes dans le temps. C'est le cas des mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France: en 1945, les mémoires de la guerre qui vient de se terminer sont dominées par le résistancialisme, cette idéologie selon laquelle les Français se sont constamment battus contre l'occupant allemand. Aujourd'hui, ces mêmes mémoires sont beaucoup plus éclatées et dominées par le souvenir de la Shoah. Comment se sont-elles formées et se sont-elles transformées depuis 1945 ? Quel rôle les historiens ont-ils joué dans leur formation et dans leurs transformations ?
I. Une mémoire officielle et sélective (1945-1970)
1. La naissance du résistancialisme
a) De Gaulle est le principal « inventeur » de cette mémoire glorieuse de la guerre. Le célèbre discours (« Paris libéré, … » document 1) qu'il prononce le 25 août 1944 à l’Hôtel de ville de Paris impose une vision de la France dans le conflit très avantageuse (elle s'est libérée elle-même) mais très partielle, puisqu'elle fait disparaître aussi bien les heures sombres de la collaboration, que l’aide décisive des Alliés. De Gaulle forge cette fiction dans un but essentiellement politique : chef encore peu connu et contesté d’un gouvernement provisoire, il a besoin de l’image d'une nation unanimement résistante pour affirmer sa légitimité en France et en dehors de France.
b) La mise en place du résistancialisme est également l’œuvre du Parti communiste. Celui-ci à la Libération, s’auto-intitule le « Parti des fusillés » en revendiquant 75 000 de ses militants morts pour la France (document 2). Il s’agit pour les communistes de valoriser le rôle réel qu'ils ont joué dans la Résistance et dans la libération du pays, tout en faisant oublier que, entre 1940 et 1941, leur Parti s’est abstenu de toute critique contre l’occupation allemande, l’URSS de Staline étant alors alliée à l’Allemagne. Le résistancialisme est un argument politique très précieux pour un parti qui, à la Libération, se proclame le « Parti de la Renaissance française » et reçoit un tiers des suffrages exprimés par les Français en 1945 (document 3).
c) Le résistancialisme devient la mémoire dominante de la guerre. Ainsi, lors de la commémoration du 11 novembre 1945, quinze corps de combattants morts pour la France de 1939 à 1945 sont placés autour de l’Arc de triomphe (document 4) , avant d’être inhumés à l’Ouest de Paris, au Mont-Valérien (document 5), qui devient le Mémorial de la France Combattante, c’est-à-dire le principal lieu de mémoire de la Résistance et de la Libération. Au cinéma, la vision résistancialiste de la guerre donne lieu à de nombreux films dont le plus célèbre est La Bataille du rail (document 6), réalisé par René Clément en 1946. L’image héroïque et glorieuse que la France se donne d’elle-même à la Libération est durablement acceptée par l’immense majorité des Français qui veulent oublier les heures noires de la guerre et former une nation de résistants (document 7).
Une source gaulliste
Hommes ! Femmes ! Nous sommes ici. Nous sommes ici, chez nous, dans Paris levé, debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non ! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes, nous le sentons tous, qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, c'est-à-dire de la France qui se bat, c'està-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.
Charles de Gaulle, Discours à l'Hôtel de ville de Paris, 25 août 1944
(Cliquez sur l'image pour entendre le discours en vidéo)
Une source communiste
Affiche de 1944 célébrant la participation
du Parti communiste à la Résistance.
Une source communiste
Affiche éditée par le Parti communiste
pour les élections de 1945
Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Le 11 novembre 1945, 15 corps de soldats morts pour la France entre 1939 et 1945
sont disposés autour de l’Arc de Triomphe. Voir la cérémonie en vidéo
Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Les corps du 11 novembre 1945 sont ensuite inhumés à l’Ouest de Paris, au Mont-Valérien,
où furent exécutés plus de mille résistants parisiens pendant la guerre.
Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Produit par la Fédération des Cheminots Résistants
et réalisé par René Clément, La Bataille du rail reçoit la Palme d’or
au Festival de Cannes de 1946. Voir un extrait du film
Une source gaulliste
Hommes ! Femmes ! Nous sommes ici. Nous sommes ici, chez nous, dans Paris levé, debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non ! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes, nous le sentons tous, qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, c'est-à-dire de la France qui se bat, c'està-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.
Charles de Gaulle, Discours à l'Hôtel de ville de Paris, 25 août 1944
(Cliquez sur l'image pour entendre le discours en vidéo)
Une source communiste
Affiche de 1944 célébrant la participation
du Parti communiste à la Résistance.
c) Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Le 11 novembre 1945, 15 corps de soldats morts pour la France entre 1939 et 1945
sont disposés autour de l’Arc de Triomphe. Voir la cérémonie en vidéo
Un succès immédiat, dès la fin de la guerre
Produit par la Fédération des Cheminots Résistants
et réalisé par René Clément, La Bataille du rail reçoit la Palme d’or
au Festival de Cannes de 1946. Voir un extrait du film
2. Les mémoires occultées de la guerre
a) Le résistancialisme laisse de côté la mémoire de la déportation. C’est en effet un silence gêné et presque complet qui accueille les survivants des camps d’extermination à leur retour en France. Jeunes et isolés pour la plupart, ils ne trouvent pas leur place dans les visions alors dominants de la guerre (document 1). Il en est de même des très nombreux prisonniers de la défaite de 1940, des réquisitionnés du Service du Travail Obligatoire ainsi que des déportés non-raciaux des camps de concentration, qui, parce qu’ils sont des vaincus et qu’ils ne sont pas des martyrs, n’ont pas non plus leur place dans la nation résistante mise en place après 1944. Grâce à l’action de nombreuses associations de déportés (document 2), une Journée nationale de la Déportation finit par être mise en place en 1954, mais la spécificité et les atrocités de la déportation des Juifs de France n’y sont pas commémorées., tout comme dans le film Nuit et Brouillard réalisé par Alain Resnais en 1956 (document 3) où le mot "juif" n'est prononcé qu'une seule fois.
b) Le mythe résistancialiste s’impose aussi à l’histoire du régime de Vichy. L’Histoire de Vichy que Robert Aron publie en 1954 fait de Pétain un « bouclier » qui a protégé les Français pendant que De Gaulle était « l’épée » qui combattait les Allemands (document 4). Parce qu’elle occulte les heures noires de l’Occupation et ne conserve que les aspects positifs de l’action de Pétain (document 5), cette vision d’un Etat français secrètement résistant – qui est celle des acteurs mêmes du régime de Vichy – connaît un vif succès jusqu’aux années 1970. Le poids de cette représentation permet aussi de comprendre la censure, pendant quarante ans, du plan de Nuit et Brouillard montrant un gendarme français (document 6) surveillant un camp de prisonniers juifs.
c) La France tente d'oublier les épisode gênants de la collaboration. En 1953, le procès des auteurs du massacre d’Oradour-sur-Glane fait apparaître que, parmi les SS ayant fusillé ou brûlé vive la population du village, figure un bon nombre de « malgré nous », des Alsaciens incorporés de force dans l’armée allemande. Après leur condamnation qui provoque un scandale en Alsace, une loi d’amnistie est votée de manière à faire oublier que des martyrs d’Oradour ont été tués par d’autres Français (document 7). Une loi plus générale, également votée en 1953, amnistie tous les faits de collaboration ayant donné lieu à des condamnations inférieures à 5 ans de prison (document 8). C’est toute la collaboration ordinaire – faite des mille et une lâchetés et des multiples renoncements que Claude Autant - Lara dénonce en 1956 dans La Traversée de Paris (document 9) – qui disparaît des mémoires de la guerre.
Le silence autour de la déportation
Ancien ministre et survivante d'Auschwitz, Simone Veil a longtemps présidé la fondation pour la mémoire de la Shoah, créée en décembre 2000.
Dès le retour des camps, nous avons ainsi entendu des propos plus déplaisants encore qu'incongrus, des jugements à l'emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n'y a pas que de tels propos que nous aurions ne jamais voulu entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s'étonner : « Comment, ils sont revenus ? Ça prouve bien que ce n'était pas si terrible que ça ». Quelques années plus tard, en 1950 ou en 1951, lors d'une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m'a demandé avec le sourire si c'était mon numéro de vestiaire ! Après cela, pendant des années, j'ai privilégié les manches longues.
Le départ de De Gaulle en janvier 1946 ne m'était pas apparu comme une catastrophe nationale. Il avait tellement voulu jouer la réconciliation entre les Français qu'à mes yeux les comptes de l'Occupation n'étaient pas soldés. Au procès de Laval, comme à celui de Pétain, il n'y avait pas eu un mot sur la déportation. La question juive était complètement occultée. Du haut au bas de l'Etat, on constatait donc la même attitude : personne ne se sentait concerné par ce que les Juifs avaient subi.
Simone Veil, Une vie, Stock, Paris, 2007
Le silence autour de la déportation
Deux affiches d’associations de déportés éditées en 1945.
L’action de ces associations permet la création
d'une Journée nationale de la Déportation, mais seulement en 1954...
Le silence autour de la déportation
Réalisé par Alain Resnais en 1956, Nuit et Brouillard
décrit le fonctionnement des camps de concentration,
sans présenter pour elle-même la déportation des Juifs.
Pour voir, ou revoir, le film, cliquez ici
La réécriture de l'histoire de Vichy
L’honneur qu’allègue le maréchal Pétain, c’est l’honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations ; en un mot, c’est l’honneur civique. Celui qu’invoque le général de Gaulle, c’est l’honneur militaire pour qui s’avouer vaincu est toujours infamant. De ces honneurs, il se peut que l’un soit plus impérieux, plus instinctif, plus spontané. L’autre existe, sur un mode sans doute moins éclatant, mais il est pourtant réel. Le premier correspondait à l’aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles de Gaulle est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe Pétain ne prévoyait ni la durée ni la fin.Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera à Pétain et à de Gaulle : « le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée ». [...] Ainsi Montoire ne peut être apprécié seulement comme un acte politique ; son aspect psychologique et humain est peut-être l’essentiel. […] Il n’a pas suffi à arrêter la pression des occupants, […] le Maréchal s’y est rendu pour protéger les Français, cette entrevue a causé une des équivoques les plus graves qu’ait connues notre pays, une des atteintes les plus profondes qu’ait subie son unité »
Extraits de Robert Aron, Histoire de Vichy, 1954
La réécriture de l'histoire de Vichy
Affiche publiée en 1951 après la mort de Pétain
par la revue d'extrême-droite Aspects de la France
La réécriture de l'histoire de Vichy
Le plan montrant un gendarme français surveillant le camp de Pithiviers,
avant et après la censure de Nuit et Brouillard
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
Le scandale provoqué par le procès du massacre d'Oradour sur Glane
Une affiche éditée en Alsace dénonçant la
condamnation des « malgré-nous » en 1953
Une affiche éditée dans le Limousin
dénonçant l’amnistie de 1953
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
La loi d'amnistie générale de 1953
Art. 1er. La République française rend témoignage à la résistance, dont le combat au-dedans et au-dehors des frontières a sauvé la nation. C’est dans la fidélité à l’esprit de la Résistance qu’elle entend que soit aujourd’hui dispensée la clémence. L’amnistie n’est pas une réhabilitation ni une revanche, pas plus qu’elle n’est une critique contre ceux qui, au nom de la nation, eurent la lourde tâche de juger et de punir.
Art. 2. Sont amnistiés les faits ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner une condamnation à la peine de la dégradation nationale à titre principal.
Art. 3. Sont amnistiés les faits […] de collaboration, lorsque ces faits, quelle qu’en soit la nature, n’ont entraîné initialement ou ne sont susceptibles d’entraîner qu’une condamnation à l’amende ou une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 5 ans. […]
Art. 4. Sont amnistiés les faits visés à l’article 3 lorsqu’ils n’ont entraîné, compte tenu des mesures de grâce intervenues, qu’une condamnation à une peine privative de liberté […] dont la durée n’excède pas cinq ans ou qui est venue à expiration au plus tard le 1er janvier 1952. Toutefois ne pourront bénéficier des dispositions de l’alinéa précédent ceux qui se sont rendus coupables de meurtre, de viol, de dénonciation ou qui, par leurs agissements ou par leurs écrits, ont sciemment exposé ou tenté d’exposer des personnes à des tortures, à la déportation ou à la mort, ou ont sciemment concouru à l’action de l’armée, des services de police ou d’espionnage ennemis.
Extraits de la loi du 6 août 1953
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
Réalisé en 1956, ce film fait scandale en montrant
la lâcheté ordinaire des Français sous l’Occupation
voir un extrait
a) Le silence autour de la déportation
Le silence autour de la déportation
Ancien ministre et survivante d'Auschwitz, Simone Veil a longtemps présidé la fondation pour la mémoire de la Shoah, créée en décembre 2000.
Dès le retour des camps, nous avons ainsi entendu des propos plus déplaisants encore qu'incongrus, des jugements à l'emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n'y a pas que de tels propos que nous aurions ne jamais voulu entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s'étonner : « Comment, ils sont revenus ? Ça prouve bien que ce n'était pas si terrible que ça ». Quelques années plus tard, en 1950 ou en 1951, lors d'une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m'a demandé avec le sourire si c'était mon numéro de vestiaire ! Après cela, pendant des années, j'ai privilégié les manches longues.
Le départ de De Gaulle en janvier 1946 ne m'était pas apparu comme une catastrophe nationale. Il avait tellement voulu jouer la réconciliation entre les Français qu'à mes yeux les comptes de l'Occupation n'étaient pas soldés. Au procès de Laval, comme à celui de Pétain, il n'y avait pas eu un mot sur la déportation. La question juive était complètement occultée. Du haut au bas de l'Etat, on constatait donc la même attitude : personne ne se sentait concerné par ce que les Juifs avaient subi.
Simone Veil, Une vie, Stock, Paris, 2007
Le silence autour de la déportation
Réalisé par Alain Resnais en 1956, Nuit et Brouillard
décrit le fonctionnement des camps de concentration,
sans présenter pour elle-même la déportation des Juifs.
Pour voir, ou revoir, le film, cliquez ici
b) La réécriture de l’histoire de Vichy
La réécriture de l'histoire de Vichy
L’honneur qu’allègue le maréchal Pétain, c’est l’honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations ; en un mot, c’est l’honneur civique. Celui qu’invoque le général de Gaulle, c’est l’honneur militaire pour qui s’avouer vaincu est toujours infamant. De ces honneurs, il se peut que l’un soit plus impérieux, plus instinctif, plus spontané. L’autre existe, sur un mode sans doute moins éclatant, mais il est pourtant réel. Le premier correspondait à l’aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles de Gaulle est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe Pétain ne prévoyait ni la durée ni la fin.Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera à Pétain et à de Gaulle : « le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée ». [...] Ainsi Montoire ne peut être apprécié seulement comme un acte politique ; son aspect psychologique et humain est peut-être l’essentiel. […] Il n’a pas suffi à arrêter la pression des occupants, […] le Maréchal s’y est rendu pour protéger les Français, cette entrevue a causé une des équivoques les plus graves qu’ait connues notre pays, une des atteintes les plus profondes qu’ait subie son unité »
Extraits de Robert Aron, Histoire de Vichy, 1954
La réécriture de l'histoire de Vichy
Le plan montrant un gendarme français surveillant le camp de Pithiviers,
avant et après la censure de Nuit et Brouillard
c) La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
Le scandale provoqué par le procès du massacre d'Oradour sur Glane
Une affiche éditée en Alsace dénonçant la
condamnation des « malgré-nous » en 1953
Une affiche éditée dans le Limousin
dénonçant l’amnistie de 1953
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
La loi d'amnistie générale de 1953
Art. 1er. La République française rend témoignage à la résistance, dont le combat au-dedans et au-dehors des frontières a sauvé la nation. C’est dans la fidélité à l’esprit de la Résistance qu’elle entend que soit aujourd’hui dispensée la clémence. L’amnistie n’est pas une réhabilitation ni une revanche, pas plus qu’elle n’est une critique contre ceux qui, au nom de la nation, eurent la lourde tâche de juger et de punir.
Art. 2. Sont amnistiés les faits ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner une condamnation à la peine de la dégradation nationale à titre principal.
Art. 3. Sont amnistiés les faits […] de collaboration, lorsque ces faits, quelle qu’en soit la nature, n’ont entraîné initialement ou ne sont susceptibles d’entraîner qu’une condamnation à l’amende ou une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 5 ans. […]
Art. 4. Sont amnistiés les faits visés à l’article 3 lorsqu’ils n’ont entraîné, compte tenu des mesures de grâce intervenues, qu’une condamnation à une peine privative de liberté […] dont la durée n’excède pas cinq ans ou qui est venue à expiration au plus tard le 1er janvier 1952. Toutefois ne pourront bénéficier des dispositions de l’alinéa précédent ceux qui se sont rendus coupables de meurtre, de viol, de dénonciation ou qui, par leurs agissements ou par leurs écrits, ont sciemment exposé ou tenté d’exposer des personnes à des tortures, à la déportation ou à la mort, ou ont sciemment concouru à l’action de l’armée, des services de police ou d’espionnage ennemis.
Extraits de la loi du 6 août 1953
La collaboration, de l’amnésie à l’amnistie
Réalisé en 1956, ce film fait scandale en montrant
la lâcheté ordinaire des Français sous l’Occupation
voir un extrait
3. La réactivation du résistancialisme après 1958
a) Le résistancialisme est un mythe fondateur des débuts de la Ve République. Rien ne le montre mieux que le réaménagement du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, surmonté à partir de 1960 de l’emblème gaulliste de la croix de Lorraine (document 1). Revenu au pouvoir à la faveur de la guerre d’Algérie, De Gaulle a besoin du mythe résistancialiste pour se présenter une nouvelle fois en sauveur de la France (document 2). Ce thème est omniprésent dans la propagande gaulliste qui traverse les dix premières années de la Ve République (document 3).
b) Il est ensuite mobilisé pendant toutes les années 1960. De nombreux films lui sont en particulier consacrés : L’Armée des ombres réalisé par Jean-Pierre Melville en 1969 décrit les actions quotidiennement courageuses d’un réseau de résistance, tandis que La Grande vadrouille de Gérard Oury – sorti en salles en 1966 et resté jusqu’à ces dernières années comme le plus grand succès du cinéma français – montre deux Français, devenus résistants malgré eux, qui ridiculisent à eux seuls l’armée allemande (document 4). A destination de la jeunesse de l’époque, de nombreuses bandes dessinées déclinent inlassablement le thème d’une France héroïque pendant la guerre (document 5). Mais c’est avec le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon que le résistancialisme gaulliste atteint son apogée (document 6). Prononcé lors de la cérémonie du 19 décembre 1964, le discours d’André Malraux (« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège ») transforme l’organisateur de la résistance en chef de file de tous les morts pour la France (document 7).
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Le Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien réaménagé, après 1958
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
L'inauguration du Mémorial par de Gaulle, le 18 juin 1960
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Affiche gaulliste de 1961, déclinant le thème
du « Sauveur de la France »
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Timbres commémoratifs de l’appel du 18 juin 1940, édités en 1960 et en 1964
Timbres à la gloire de De Gaulle, édités en 1971 après sa mort
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
La Résistance, un thème majeur du cinéma des années 1960
La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966)
voir la bande-annonce
L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969)
voir la bande-annonce
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
La Résistance en bandes dessinées
La BD du Grélé 7/13
est publiée de 1966 à 1971
BD publiée en 1960
dans un journal destiné aux jeunes filles
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964.
C'est à la fois l'apogée et l'une des dernières manifestations du résistancialisme gaulliste.
voir le journal télévisé du 19 décembre 1964
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Monsieur le président de la République,
Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d'un peuple de la nuit. Sans la cérémonie d'aujourd'hui, combien d'enfants de France sauraient son nom ? Il ne le retrouva lui-même que pour être tué ; et depuis, sont nés seize millions d'enfants...
Puissent les commémorations des deux guerres s'achever par la résurrection du peuple d'ombres que cet homme anima, qu'il symbolise, et qu'il fait entrer ici comme une humble garde solennelle autour de son corps de mort. Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l'organisation. Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent de légende, voici comment je l'ai rencontré. Dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des combattants du maquis, et donné ordre au maire de les faire enterrer en secret, à l'aube. Il est d'usage, dans cette région, que chaque femme assiste aux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe de sa propre famille. Nul ne connaissait ces morts, qui étaient des Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans sous la garde menaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se retirait comme la mer laissa paraître les femmes noires de Corrèze, immobiles du haut en bas de la montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe des siens, l'ensevelissement des morts français. Ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n'eût jamais existé – et qui nous réunit aujourd'hui – c'est peut-être simplement l'accent invincible de la fraternité.
Extraits du discours d'André Malraux, le 19 décembre 1964.
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique et les combats d'Alsace, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit... Commémorant l'anniversaire de la Libération de Paris, je disais : « Ecoute ce soir, jeunesse de mon pays, ces cloches d'anniversaire qui sonneront comme celles d'il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi. »
L'hommage d'aujourd'hui n'appelle que le chant qui va s'élever maintenant, ce Chant des partisans que j'ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d'Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Ecoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C'est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France...
Extraits du discours d'André Malraux, le 19 décembre 1964.
a) Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Le Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien réaménagé, après 1958
Le résistancialisme, un mythe fondateur des débuts de la Ve République
Timbres commémoratifs de l’appel du 18 juin 1940, édités en 1960 et en 1964
Timbres à la gloire de De Gaulle, édités en 1971 après sa mort
b) Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
La Résistance, un thème majeur du cinéma des années 1960
La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966)
voir la bande-annonce
L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969)
voir la bande-annonce
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964.
C'est à la fois l'apogée et l'une des dernières manifestations du résistancialisme gaulliste.
voir le journal télévisé du 19 décembre 1964
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Monsieur le président de la République,
Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d'un peuple de la nuit. Sans la cérémonie d'aujourd'hui, combien d'enfants de France sauraient son nom ? Il ne le retrouva lui-même que pour être tué ; et depuis, sont nés seize millions d'enfants...
Puissent les commémorations des deux guerres s'achever par la résurrection du peuple d'ombres que cet homme anima, qu'il symbolise, et qu'il fait entrer ici comme une humble garde solennelle autour de son corps de mort. Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l'organisation. Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent de légende, voici comment je l'ai rencontré. Dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des combattants du maquis, et donné ordre au maire de les faire enterrer en secret, à l'aube. Il est d'usage, dans cette région, que chaque femme assiste aux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe de sa propre famille. Nul ne connaissait ces morts, qui étaient des Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans sous la garde menaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se retirait comme la mer laissa paraître les femmes noires de Corrèze, immobiles du haut en bas de la montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe des siens, l'ensevelissement des morts français. Ce sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n'eût jamais existé – et qui nous réunit aujourd'hui – c'est peut-être simplement l'accent invincible de la fraternité.
Extraits du discours d'André Malraux, le 19 décembre 1964.
Un mythe entretenu pendant toutes les années 1960
Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique et les combats d'Alsace, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit... Commémorant l'anniversaire de la Libération de Paris, je disais : « Ecoute ce soir, jeunesse de mon pays, ces cloches d'anniversaire qui sonneront comme celles d'il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi. »
L'hommage d'aujourd'hui n'appelle que le chant qui va s'élever maintenant, ce Chant des partisans que j'ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d'Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Ecoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C'est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France...
Extraits du discours d'André Malraux, le 19 décembre 1964.
II. Le renouvellement des mémoires de la guerre, des années 1970 à aujourd’hui.
1. Un regard différent sur Vichy et sur la Collaboration
a)La mort de De Gaulle en 1970 ouvre un « tournant mémoriel », marqué par le reflux du résistancialisme. Lorsque Georges Pompidou, qui a succédé à De Gaulle, gracie en 1971 le milicien Paul Touvier, déjà condamné mais en fuite depuis la Libération, il évoque les heures noires de la guerre et parle de la nécessité de « jeter le voile sur ces périodes où les Français ne s’aimaient pas » (document 1). Vingt-cinq ans après la fin du conflit, il est temps pour la France – dont un grand nombre d’habitants sont nés après 1945 – de tourner cette page de son histoire. A partir des années 1970, le mythe résistancialiste s’efface progressivement des mémoires et devient même, comme dans Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré (1983), un objet de dérision (document 2).
b) 1971 est également l’année de la sortie d'un film-événement. Réalisé par Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié est un film documentaire de plus de quatre heures qui juxtapose des images d’archives de la période de la guerre et des interviews de Français, d’Anglais et d’Allemands qui y ont participé (document 3). La juxtaposition de ces documents renvoie une image de la France très différente de celle qui domine depuis 1945 : si quelques Français ont bien résisté à l’occupation allemande et à la politique du régime de Vichy, les plus nombreux ont subi ces dernières de manière résignée, et certains les ont même acceptées avec enthousiasme. C’est une nouvelle représentation, très peu héroïque, de la France dans la guerre qui apparaît alors (document 4).
c) L’historiographie de la guerre est renouvelée à la même époque. En 1973, La France de Vichy, écrite par l’historien américain Robert Paxton à partir des archives allemandes, montre que, loin de s’opposer à l’occupation du pays, le régime de Vichy a constamment recherché la collaboration avec l’Allemagne et que ce sont les Allemands qui ont refusé les offres françaises (document 5). A la suite de Paxton, d’autres historiens, exploitant les archives françaises ouvertes à partir des années 1980, projettent sur la période de la guerre des éclairages totalement inédits, en montrant, par exemple, que de nombreux et illustres résistants, en fait des « vichysso-résistants », ont commencé par soutenir Pétain avant de se tourner vers De Gaulle (document 6). A propos de cette mémoire longtemps refoulée et tardivement réapparue de la guerre, un autre historien, Henry Rousso, parle d’un « Syndrome de Vichy » dans la société française.
L’érosion du résistancialisme
Collaborateur en fuite et recherché depuis la Libération, Paul Touvier avait été caché dès cette époque par des ecclésiastiques. Condamné deux fois à mort par contumace au lendemain de la guerre, il avait été arrêté en 1947, mais était parvenu à s'évader grâce à des complicités.
En novembre 1971, Pompidou accorde sa grâce à l'ancien chef de la Milice de Lyon, grâce révélée en juin 1972 par l'hebdomadaire L'Express. Il s’en explique lors d’une conférence de presse en septembre 1972.
Voir un extrait de sa déclaration.
L’érosion du résistancialisme
Réalisé en 1983, Papy fait de la Résistance
caricature férocement les films de résistants.
Voir sa bande-annonce
Un film-événement, Le Chagrin et la Pitié (1971)
Un des films qui ont le plus
transformé les mémoires de la guerre
Voir un premier extrait
Voir un second extrait
Un film-événement, Le Chagrin et la Pitié (1971)
Ce film, vous ne le verrez pas sur le petit écran auquel il était destiné. On tient en haut lieu les Français incapables de se regarder dans une glace, tels qu’ils furent, tels qu’ils se dépeignent eux-mêmes, tels qu’ils se jugent.
Tout le monde le sait mais il faut le dire. Le manteau d’hermine que Charles De Gaulle a jeté sur les guenilles de la France doit à jamais dissimuler qu’elle avait perdu non seulement la guerre, ce qui n’est rien, mais l’honneur. Et, que prise en bloc, elle s’en arrangerait bien. Le premier choc est dur. Pour peu qu’on ait eu plus de quinze ans en 1940, on en suffoque. Pleurer soulagerait. Mais on ne pleure pas. On rage. La foule, fervente, agitant des petits drapeaux, acclamant un vieux soldat, parce qu’« en France, ça finit toujours par un militaire » dit cruellement un Anglais. Maurice Chevalier chantant : « ça sent si bon la France… » En 41. En 42, (...) il ne fallait pas avoir l’odorat sensible. La brochette de vedettes de l’écran partant joyeusement visiter les studios de Berlin, de Vienne, de Munich… Le Dr Goebbels les accueillera. Hitler devant la Tour Eiffel, devant l’Opéra, montant les marches de la Madeleine, et, sur son passage, les agents de police saluant spontanément. Spontanément.
Tant et tant d’images qui font mal, de discours chevrotants, de proclamations ignobles ou imbéciles, que l’on croyait oubliés, que nous étions nombreux à avoir volontairement enfouis, pour toujours, dans le sable de la mémoire parce que la vie, ce n’était jamais hier, c’est aujourd’hui. Oui, le premier choc est dur. Il faut savoir que, au-delà de 40 ans, personne ne peut voir Le Chagrin et la pitié innocemment. Sans retrouver le goût amer de sa propre lâcheté, si l’on fut de la majorité, soit le tremblement de la fureur, si l’on fut des autres.
Françoise Giroud, directrice du journal L’Express, 3 mai 1971.
Le travail des historiens
Ce qu'un historien américain trouve dans les archives allemandes.
L’apport de Paxton est révolutionnaire. D’abord la thèse : il n’y a eu ni double jeu, ni passivité (ni a fortiori semi-résistance) d’un Vichy attentiste ; il y a eu une constante et illusoire politique de collaboration, une offre maintes fois renouvelée au vainqueur nazi : en échange d’une reconnaissance par l’Allemagne de l’autonomie politique de Vichy et d’un assouplissement de l’armistice, la France s’associerait pleinement à l’« ordre nouveau » et jouerait le rôle d’un brillant second […]. C’est Hitler qui n’a pas voulu de la collaboration ainsi proposée et quémandée ; nous le savions déjà grâce aux travaux d’Eberhard Jäckel. Ce que nous ne savions pas, c’est l’ampleur de la ténacité des efforts et des offres de Vichy. Paxton les révèle, preuves en main.
Stanley Hoffmann, préface du livre
de Robert Paxton, La France de Vichy, 1973
Le travail des historiens
Une découverte des années 1970: les "vichysso-résistants"
Sur cette photographie, prise en 1942 mais publiée seulement dans les années 1970,
le maréchal Pétain décore François Mitterrand de l'ordre de la Francisque.
L'année suivante, Mitterrand rejoindra la Résistance
a) L’érosion du résistancialisme
L’érosion du résistancialisme
Collaborateur en fuite et recherché depuis la Libération, Paul Touvier avait été caché dès cette époque par des ecclésiastiques. Condamné deux fois à mort par contumace au lendemain de la guerre, il avait été arrêté en 1947, mais était parvenu à s'évader grâce à des complicités.
En novembre 1971, Pompidou accorde sa grâce à l'ancien chef de la Milice de Lyon, grâce révélée en juin 1972 par l'hebdomadaire L'Express. Il s’en explique lors d’une conférence de presse en septembre 1972.
Voir un extrait de sa déclaration.
L’érosion du résistancialisme
Réalisé en 1983, Papy fait de la Résistance
caricature férocement les films de résistants.
Voir sa bande-annonce
b) Un film-événement, Le Chagrin et la Pitié (1971)
Un film-événement, Le Chagrin et la Pitié (1971)
Un des films qui ont le plus
transformé les mémoires de la guerre
Voir un premier extrait
Voir un second extrait
Un film-événement, Le Chagrin et la Pitié (1971)
Ce film, vous ne le verrez pas sur le petit écran auquel il était destiné. On tient en haut lieu les Français incapables de se regarder dans une glace, tels qu’ils furent, tels qu’ils se dépeignent eux-mêmes, tels qu’ils se jugent.
Tout le monde le sait mais il faut le dire. Le manteau d’hermine que Charles De Gaulle a jeté sur les guenilles de la France doit à jamais dissimuler qu’elle avait perdu non seulement la guerre, ce qui n’est rien, mais l’honneur. Et, que prise en bloc, elle s’en arrangerait bien. Le premier choc est dur. Pour peu qu’on ait eu plus de quinze ans en 1940, on en suffoque. Pleurer soulagerait. Mais on ne pleure pas. On rage. La foule, fervente, agitant des petits drapeaux, acclamant un vieux soldat, parce qu’« en France, ça finit toujours par un militaire » dit cruellement un Anglais. Maurice Chevalier chantant : « ça sent si bon la France… » En 41. En 42, (...) il ne fallait pas avoir l’odorat sensible. La brochette de vedettes de l’écran partant joyeusement visiter les studios de Berlin, de Vienne, de Munich… Le Dr Goebbels les accueillera. Hitler devant la Tour Eiffel, devant l’Opéra, montant les marches de la Madeleine, et, sur son passage, les agents de police saluant spontanément. Spontanément.
Tant et tant d’images qui font mal, de discours chevrotants, de proclamations ignobles ou imbéciles, que l’on croyait oubliés, que nous étions nombreux à avoir volontairement enfouis, pour toujours, dans le sable de la mémoire parce que la vie, ce n’était jamais hier, c’est aujourd’hui. Oui, le premier choc est dur. Il faut savoir que, au-delà de 40 ans, personne ne peut voir Le Chagrin et la pitié innocemment. Sans retrouver le goût amer de sa propre lâcheté, si l’on fut de la majorité, soit le tremblement de la fureur, si l’on fut des autres.
Françoise Giroud, directrice du journal L’Express, 3 mai 1971.
Le travail des historiens
Ce qu'un historien américain trouve dans les archives allemandes.
L’apport de Paxton est révolutionnaire. D’abord la thèse : il n’y a eu ni double jeu, ni passivité (ni a fortiori semi-résistance) d’un Vichy attentiste ; il y a eu une constante et illusoire politique de collaboration, une offre maintes fois renouvelée au vainqueur nazi : en échange d’une reconnaissance par l’Allemagne de l’autonomie politique de Vichy et d’un assouplissement de l’armistice, la France s’associerait pleinement à l’« ordre nouveau » et jouerait le rôle d’un brillant second […]. C’est Hitler qui n’a pas voulu de la collaboration ainsi proposée et quémandée ; nous le savions déjà grâce aux travaux d’Eberhard Jäckel. Ce que nous ne savions pas, c’est l’ampleur de la ténacité des efforts et des offres de Vichy. Paxton les révèle, preuves en main.
Stanley Hoffmann, préface du livre
de Robert Paxton, La France de Vichy, 1973
Le travail des historiens
Une découverte des années 1970: les "vichysso-résistants"
Sur cette photographie, prise en 1942 mais publiée seulement dans les années 1970,
le maréchal Pétain décore François Mitterrand de l'ordre de la Francisque.
L'année suivante, Mitterrand rejoindra la Résistance
2. La mémoire de la Shoah enfin prise en compte
a) La mémoire de l’extermination réapparaît dans la communauté juive de France à partir des années 1960. Organisé à Jérusalem en 1961, le procès d’Eichmann permet, pour le première fois depuis 1945, d’entendre de nombreux survivants de l’extermination (document 1); viennent ensuite les guerres israélo-arabes qui amènent – comme l’explique Raymond Aron – de nombreux Français à découvrir leur identité juive (document 2); ce sont enfin les thèses des écrivains négationnistes – les « assassins de la mémoire » (l’expression a été forgée par l’historien Pierre Vidal-Naquet) – qui imposent, à partir des années 1970, d’écrire et de faire connaître l’histoire de la Shoah (document 3). Constituées à partir de 1943, les archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine permettent d’écrire cette histoire, mais aussi de rechercher – comme le font Serge et Beate Klarsfeld – ceux qui furent les responsables de l’extermination (document 4).
b) Le cinéma et la télévision favorisent aussi le retour de la mémoire de la Shoah. Les Guichets du Louvre de Michel Mitrani (1974), raconte la fuite d’une jeune fille juive lors de la rafle de juillet 1942, tandis que Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey relate comment un non-juif, d’abord confondu avec un homonyme juif, puis soupçonné d’être ce dernier, est finalement arrêté et déporté avec lui vers les camps de la mort. Cette mémoire devient encore plus présente en 1979, avec la diffusion de la série américaine Holocaust, consacrée au récit de la déportation et de l’extermination des Juifs d’Europe (document 5). Enfin, en 1985, l’œuvre monumentale de Claude Lanzmann, Shoah, donne à voir, dans tous ses détails, le mécanisme implacable qui a conduit à la disparition de près de 6 millions de victimes (document 6).
c) La réapparition de la mémoire de l’extermination impose un changement de l’attitude de l’État, qui, depuis 1945, nie toute responsabilité dans la déportation des Juifs de France (document 7). En 1992, François Mitterrand peut encore en rejeter la responsabilité sur le régime de Vichy (celui-ci « n’est pas la République »), mais, devant l’émotion suscitée par une attitude de moins en moins tenable, son successeur, Jacques Chirac, reconnaît officiellement la responsabilité de l’État lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vel d’Hiv de 1995 (document 8).
d) Ce revirement permet enfin la tenue de plusieurs « procès pour mémoire ». Rendus possibles par l’inscription dans le droit français depuis 1964 de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, ces procès permettent de juger des décennies après la fin de la guerre trois acteurs de l’extermination en donannt une dernière fois la parole à leurs victimes : un SS, Klaus Barbie, le chef de la Gestapo de Lyon, condamné en 1987 ; un collaborateur, Paul Touvier, le chef de la Milice de Lyon, condamné en 1994 ; un haut fonctionnaire, Maurice Papon, condamné en 1998 (document 9). Dans le même temps, une « loi mémorielle » (la loi Gayssot, votée en 1990) transforme en délit la négation des crimes contre l’humanité (document 10).
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Le tournant du procès d'Eichmann à Jérusalem
Enlevé en Argentine par les services secrets israéliens, Adolf Eichmann,
le principal organisateur de la « Solution finale », est jugé à Jérusalem en 1961.
Son procès, intégralement filmé, donne, pour la première fois depuis 1945,
la parole aux survivants de la Shoah. On peut en voir des extraits ici.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Le politologue Raymond Aron revient sur son identité juive, et les changements de celle-ci depuis la guerre.
Je suis ce que l'on appelle un « juif assimilé ». Enfant, j'ai pleuré aux malheurs de la France à Waterloo ou à Sedan, non en écoutant le récit de la destruction du Temple. Aucun autre drapeau que le tricolore, aucun autre hymne que la Marseillaise ne mouillera jamais mes yeux. Hitler, il y a près de quarante ans maintenant, m'a révélé mon « judaïsme ». Je me suis efforcé, vaille que vaille, de l'assumer, ce qui a voulu dire simplement ne jamais le dissimuler. Etre juif à mes yeux n'est ni infamant ni glorieux, je n'en tire ni honte ni fierté, je n'ai même pas le droit de mettre en cause l'humanité ou, du moins, pas plus que n'importe quel homme de cœur, puisque j'ai survécu au grand massacre. (...)
Depuis New Delhi jusqu'à La Havane, tous se déclarent pro-égyptiens et anti-israéliens. (...) Et les Juifs français qui ont donné leur âme à tous les révolutionnaires noirs, bruns ou jaunes hurlent maintenant de douleur pendant que leurs amis hurlent à la mort. Je souffre comme eux, avec eux, quoi qu'ils aient dit ou fait, non parce que nous sommes devenus des sionistes ou des Israéliens, mais parce que monte en moi, irrésistible, un sentiment de solidarité. Peu importe d'où il vient. Si les grandes puissances, selon le calcul froid de leurs intérêts, laissent détruire le petit Etat qui n'est pas le mien, ce crime modeste à l'échelle du monde, m'enlèverait la force de vivre et je crois que des millions d'hommes auraient honte de l'humanité.
Raymond Aron, « Israël : face à la tragédie », Le Figaro littéraire, 12 juin 1967.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Dans cet article du journal Le Monde, l'universitaire Robert Faurisson justifie ses thèses négationnistes. Ses propos ont été, depuis, condamnés par la justice à de nombreuses reprises
Nul ne conteste l'utilisation de fours crématoires dans certains camps allemands. La fréquence même des épidémies, dans toute l'Europe en guerre, exigeait la crémation, par exemple des cadavres de typhiques. C'est l'existence des « chambres à gaz », véritables abattoirs humains, qui est contestée. Depuis 1945, cette contestation va croissant. Les grands moyens d'information ne l'ignorent plus.
En 1945, la science historique officielle affirmait que des « chambres à gaz » avaient fonctionné, aussi bien dans l'ancien Reich qu'en Autriche, aussi bien en Alsace qu'en Pologne. Quinze ans plus tard, en 1960, elle révisait son jugement : il n'avait, « avant tout »(?), fonctionné de « chambres à gaz » qu'en Pologne. Cette révision déchirante de 1960 réduisait à néant mille « témoignages », mille « preuves » de prétendus gazages à Oranienburg, à Buchenwald, à Bergen-Belsen, à Dachau, à Ravensbrück, à Mauthausen. Devant les appareils judiciaires anglais ou français, les responsables de Ravensbrück avaient avoué l'existence d'une « chambre à gaz » dont ils avaient même décrit, de façon vague, le fonctionnement. Scénario comparable pour Ziereis, à Mauthausen, ou pour Kramer au Struthof. Après la mort des coupables, on découvrait que ces gazages n'avaient jamais existé. Fragilité des témoignages et des aveux !
Les « chambres à gaz » de Pologne – on finira bien par l'admettre – n'ont pas eu plus de réalité. […] L'inexistence des « chambres à gaz » est une bonne nouvelle pour la pauvre humanité. Une bonne nouvelle qu'on aurait tort de tenir plus longtemps cachée. »
Robert Faurisson, « Le problème des chambres à gaz », Le Monde, 29 décembre 1978.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Constituées à partir de 1943 et constamment enrichies pour rassembler les preuves
de la persécution dont les juifs ont été victimes, les archives du Centre
de Documentation Juive Contemporaine sont désormais le cœur du Mémorial de la Shoah.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Fondateurs de l'association des Fils et Filles de Déportés de France,
Serge et Beate Klarsfeld (photographiés en 1990) ont consacré leurs vies à faire
reconnaître la responsabilité des auteurs et des complices de la Shoah.
La révélation des moyens de l’extermination par le cinéma et la télévision
Trois œuvres qui ont contribué à transformer la mémoire de l'extermination
Les Guichets du Louvre
de Michel Mitrani (1974)
Mr Klein
de Joseph Losey (1976)
Holocaust
de Marvin Chomsky (1979)
La révélation des moyens de l’extermination par le cinéma et la télévision
Dans Shoah il y a des témoins et c'est une autre manière de rendre tangible ce qui s'est passé. On ne peut contester ce que raconte, par exemple, le coiffeur de Treblinka. […] Cela a été le grand changement apporté par le film dans l'historiographie sur le sujet. Enfin les victimes parlaient et ce n'étaient pas n'importe lesquelles : des déportés des sonderkommandos («commandos spéciaux») travaillant aux chambres à gaz ou aux fours crématoires qui se trouvaient au dernier stade du processus d'anéantissement et qui étaient les témoins directs du meurtre du peuple tout entier. Les seuls avec les nazis. Ces gens étaient condamnés d'avance et seulement une poignée d'entre eux a réussi à survivre. Ce sont des gens qui dans le film ne disent jamais «je» mais «nous». Ils sont les porte-parole des morts.[…] Longtemps on ne parla que de la souffrance des gens dans les camps de concentration en général, mais la différence entre camps de concentration et camps d'extermination désormais bien établie n'apparaissait pas. Il faut du temps pour le dévoilement de la vérité. Plus un événement d'une telle ampleur s'éloigne dans le temps plus on réussit à en prendre la mesure et à le comprendre dans toute sa force et son étrangeté. Cela était impossible en 1945. Il n'y avait pas alors les instruments pour comprendre ce que rapportaient les rescapés et eux-mêmes n'arrivaient pas à parler de ce qu'ils avaient vécu.
Claude Lanzmann, « Radiographie de l’Holocauste », Libération, 8 août 2007.
Un changement de l’attitude de l’État à partir des années 1990
De la négation de toute responsabilité de l'État ... à la reconnaissance de cette reponsabilité
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Un changement de l’attitude de l’État à partir des années 1990
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. On verra des scènes atroces: les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards - dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France - jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l'enfer. Combien d'entre-elles ne reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ?
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. […] L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'oeuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre.
Discours prononcé par J. Chirac lors des commémorations de la Rafle du Vel‘ d'Hiv' - 16 juillet 1995
Le temps des procès « pour mémoire » et des « lois mémorielles »
Le SS:
Klaus Barbie (1987)
Jugé en 1987, il est condamné à la prison à perpétuité.
Le milicien:
Paul Touvier (1994)
Finalement arrêté en 1989. Il est jugé et condamné à la prison à perpétuité en 1994.
Le haut fonctionnaire:
Maurice Papon (1998)
Le temps des procès « pour mémoire » et des « lois mémorielles »
Une « loi mémorielle »: la loi Gayssot (1990)
Article 9. Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 [de la loi de 1881 sur la liberté de la presse] ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Extraits de la loi du 13 juillet 1990
a) La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Le tournant du procès d'Eichmann à Jérusalem
Enlevé en Argentine par les services secrets israéliens, Adolf Eichmann,
le principal organisateur de la « Solution finale », est jugé à Jérusalem en 1961.
Son procès, intégralement filmé, donne, pour la première fois depuis 1945,
la parole aux survivants de la Shoah. On peut en voir des extraits ici.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Le politologue Raymond Aron revient sur son identité juive, et les changements de celle-ci depuis la guerre.
Je suis ce que l'on appelle un « juif assimilé ». Enfant, j'ai pleuré aux malheurs de la France à Waterloo ou à Sedan, non en écoutant le récit de la destruction du Temple. Aucun autre drapeau que le tricolore, aucun autre hymne que la Marseillaise ne mouillera jamais mes yeux. Hitler, il y a près de quarante ans maintenant, m'a révélé mon « judaïsme ». Je me suis efforcé, vaille que vaille, de l'assumer, ce qui a voulu dire simplement ne jamais le dissimuler. Etre juif à mes yeux n'est ni infamant ni glorieux, je n'en tire ni honte ni fierté, je n'ai même pas le droit de mettre en cause l'humanité ou, du moins, pas plus que n'importe quel homme de cœur, puisque j'ai survécu au grand massacre. (...)
Depuis New Delhi jusqu'à La Havane, tous se déclarent pro-égyptiens et anti-israéliens. (...) Et les Juifs français qui ont donné leur âme à tous les révolutionnaires noirs, bruns ou jaunes hurlent maintenant de douleur pendant que leurs amis hurlent à la mort. Je souffre comme eux, avec eux, quoi qu'ils aient dit ou fait, non parce que nous sommes devenus des sionistes ou des Israéliens, mais parce que monte en moi, irrésistible, un sentiment de solidarité. Peu importe d'où il vient. Si les grandes puissances, selon le calcul froid de leurs intérêts, laissent détruire le petit Etat qui n'est pas le mien, ce crime modeste à l'échelle du monde, m'enlèverait la force de vivre et je crois que des millions d'hommes auraient honte de l'humanité.
Raymond Aron, « Israël : face à la tragédie », Le Figaro littéraire, 12 juin 1967.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Dans cet article du journal Le Monde, l'universitaire Robert Faurisson justifie ses thèses négationnistes. Ses propos ont été, depuis, condamnés par la justice à de nombreuses reprises
Nul ne conteste l'utilisation de fours crématoires dans certains camps allemands. La fréquence même des épidémies, dans toute l'Europe en guerre, exigeait la crémation, par exemple des cadavres de typhiques. C'est l'existence des « chambres à gaz », véritables abattoirs humains, qui est contestée. Depuis 1945, cette contestation va croissant. Les grands moyens d'information ne l'ignorent plus.
En 1945, la science historique officielle affirmait que des « chambres à gaz » avaient fonctionné, aussi bien dans l'ancien Reich qu'en Autriche, aussi bien en Alsace qu'en Pologne. Quinze ans plus tard, en 1960, elle révisait son jugement : il n'avait, « avant tout »(?), fonctionné de « chambres à gaz » qu'en Pologne. Cette révision déchirante de 1960 réduisait à néant mille « témoignages », mille « preuves » de prétendus gazages à Oranienburg, à Buchenwald, à Bergen-Belsen, à Dachau, à Ravensbrück, à Mauthausen. Devant les appareils judiciaires anglais ou français, les responsables de Ravensbrück avaient avoué l'existence d'une « chambre à gaz » dont ils avaient même décrit, de façon vague, le fonctionnement. Scénario comparable pour Ziereis, à Mauthausen, ou pour Kramer au Struthof. Après la mort des coupables, on découvrait que ces gazages n'avaient jamais existé. Fragilité des témoignages et des aveux !
Les « chambres à gaz » de Pologne – on finira bien par l'admettre – n'ont pas eu plus de réalité. […] L'inexistence des « chambres à gaz » est une bonne nouvelle pour la pauvre humanité. Une bonne nouvelle qu'on aurait tort de tenir plus longtemps cachée. »
Robert Faurisson, « Le problème des chambres à gaz », Le Monde, 29 décembre 1978.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Constituées à partir de 1943 et constamment enrichies pour rassembler les preuves
de la persécution dont les juifs ont été victimes, les archives du Centre
de Documentation Juive Contemporaine sont désormais le cœur du Mémorial de la Shoah.
La résurgence de la mémoire de l’extermination dans la communauté juive de France
Fondateurs de l'association des Fils et Filles de Déportés de France,
Serge et Beate Klarsfeld (ici photographiés en 1990) ont consacré leurs vies
à faire reconnaître la responsabilité des auteurs et des complices de la Shoah.
b) La révélation des moyens de l’extermination par le cinéma et la télévision
La révélation des moyens de l’extermination par le cinéma et la télévision
Trois œuvres qui ont contribué à transformer la mémoire de l'extermination
Les Guichets du Louvre
de Michel Mitrani (1974)
Mr Klein
de Joseph Losey (1976)
Holocaust
de Marvin Chomsky (1979)
La révélation des moyens de l’extermination par le cinéma et la télévision
Dans Shoah il y a des témoins et c'est une autre manière de rendre tangible ce qui s'est passé. On ne peut contester ce que raconte, par exemple, le coiffeur de Treblinka. […] Cela a été le grand changement apporté par le film dans l'historiographie sur le sujet. Enfin les victimes parlaient et ce n'étaient pas n'importe lesquelles : des déportés des sonderkommandos («commandos spéciaux») travaillant aux chambres à gaz ou aux fours crématoires qui se trouvaient au dernier stade du processus d'anéantissement et qui étaient les témoins directs du meurtre du peuple tout entier. Les seuls avec les nazis. Ces gens étaient condamnés d'avance et seulement une poignée d'entre eux a réussi à survivre. Ce sont des gens qui dans le film ne disent jamais «je» mais «nous». Ils sont les porte-parole des morts.[…] Longtemps on ne parla que de la souffrance des gens dans les camps de concentration en général, mais la différence entre camps de concentration et camps d'extermination désormais bien établie n'apparaissait pas. Il faut du temps pour le dévoilement de la vérité. Plus un événement d'une telle ampleur s'éloigne dans le temps plus on réussit à en prendre la mesure et à le comprendre dans toute sa force et son étrangeté. Cela était impossible en 1945. Il n'y avait pas alors les instruments pour comprendre ce que rapportaient les rescapés et eux-mêmes n'arrivaient pas à parler de ce qu'ils avaient vécu.
Claude Lanzmann, « Radiographie de l’Holocauste », Libération, 8 août 2007.
c) Un changement de l’attitude de l’Etat à partir des années 1990
Un changement de l’attitude de l’État à partir des années 1990
De la négation de toute responsabilité de l'État ... à la reconnaissance de cette reponsabilité
Voir cette interview
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Un changement de l’attitude de l’État à partir des années 1990
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. On verra des scènes atroces: les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards - dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France - jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l'enfer. Combien d'entre-elles ne reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ?
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. […] L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'oeuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre.
Discours prononcé par J. Chirac lors des commémorations de la Rafle du Vel‘ d'Hiv' - 16 juillet 1995
d) Le temps des procès « pour mémoire » et des « lois mémorielles »
Le temps des procès « pour mémoire » et des « lois mémorielles »
Le SS:
Klaus Barbie (1987)
Jugé en 1987, il est condamné à la prison à perpétuité.
Le milicien:
Paul Touvier (1994)
Finalement arrêté en 1989. Il est jugé et condamné à la prison à perpétuité en 1994.
Le haut fonctionnaire:
Maurice Papon (1998)
Le temps des procès « pour mémoire » et des « lois mémorielles »
Une « loi mémorielle »: la loi Gayssot (1990)
Article 9. Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 [de la loi de 1881 sur la liberté de la presse] ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Extraits de la loi du 13 juillet 1990
3. Le temps de « l'hypermnésie »
a) De multiples mémoires de la guerre, éclatées et parfois concurrentes, se substituent désormais au mythe résistancialiste. Cet éclatement est d’abord visible dans l’espace, avec la multiplication des mémoriaux, qui rappellent aussi bien le souvenir de la défaite de 1940, que celui de la Libération de 1944, aussi bien le souvenir des combats de la Résistance que celui de ses martyrs, aussi bien le souvenir des massacres de civils que celui de la déportation et de l’extermination des Juifs (document 1). Mais l'éclatement est aussi visible dans le temps, avec la multiplication des commémorations officielles. Pas moins de six dates sont aujourd'hui consacrées au rappel du souvenir de la guerre : le 27 janvier (journée mondiale de la mémoire de l’Holocauste), le dernier dimanche d’avril (journée nationale de la Déportation), le 8 mai, le 18 juin (souvenir de l’appel du général De Gaulle), le 16 juillet (journée d’hommage aux victimes des crimes racistes) et 22 octobre (journée d’hommage à Guy Môquet et à ses compagnons) (document 2).
b) Les mémoires de la guerre sont également marquées par une individualisation croissante. Instituée par Nicolas Sarkozy en 2007, la lecture obligatoire dans les établissements scolaires de la lettre d’adieu de Guy Môquet célèbre le seul souvenir de la mort d’un garçon de 17 ans (document 3). De même, ce sont quatre exemples individuels d’ « esprit de résistance » que François Hollande célèbre en 2015, lors du transfert au Panthéon des cendres de Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay (document 4). C’est enfin le rappel du souvenir individuel de chaque martyr de la guerre que permet l’établissement de mémoriaux sous forme de listes de noms, telles qu’on les trouve au Mont Valérien depuis 2003 et au Mémorial de la Shoah depuis 2005 (document 5).
c) L’émiettement des mémoires de la guerre se poursuit encore aujourd’hui, avec les récentes mise en avant de mémoires jusque-là peu célébrées : le rôle décisif dans la libération de la France des soldats venus des colonies est ainsi rappelé en 2006 dans le film Indigènes, primé au festival de Cannes ; le souvenir très rarement évoqué du génocide des Tziganes est quant à lui rappelé dans le film Liberté que Tony Gatlif réalise en 2011 (document 6).
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux de la défaite de 1940
Montauville (Meurthe-et-Moselle):
Mémorial national de la captivité
Notre-Dame de Lorette (Pas-de-Calais),
avec la tombe du soldat inconnu de 1940
Marckolsheim (Bas-Rhin):
Mémorial de la ligne Maginot
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux de la victoire et de la Libération
Toulon (Var):
Mémorial du Débarquement de Provence
Caen (Calvados):
Mémorial de la 2nde Guerre mondiale
Colleville (Calvados):
Mémorial d’Omaha Beach
Paris:
Mémorial de la Libération de Paris
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux des combats de la Résistance
Le Mont Mouchet (Haute-Loire):
Monument national aux maquis de France
Vassieux-en-Vercors (Drôme):
Mémorial de la Résistance
Le plateau des Glières (Haute-Savoie):
Monument national de la Résistance
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux de l'extermination
Paris, le Mémorial de la rafle du Vel d’Hiv
Paris, le Mémorial de la Shoah
Izieu (Ain), le mémorial des enfants
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des commémorations
le 27 janvier:
Journée de la mémoire de l'Holocauste et
de la prévention des crimes contre l'humanité,
le dernier dimanche d'avril:
Journée nationale du souvenir des victimes
et des héros de la Déportation
le 8 mai:
commémoration
de la victoire du 8 mai 1945
le 18 juin:
Journée nationale commémorative
de l'appel du général de Gaulle
le 16 juillet:
Journée nationale à la mémoire
des victimes des crimes racistes et antisémites
le 22 octobre:
Journée de la commémoration de Guy Môquet
et de ses 26 compagnons fusillés
Des mémoires de plus en plus individualisées
Après son élection en 2007, Nicolas Sarkozy rend obligatoire la lecture de cette lettre dans les établissements scolaires, chaque 22 octobre
Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurai voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi, petit Papa, si je t’ai fait, ainsi qu’à petite Maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée. Un dernier adieu à tous mes amis et à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme. 17 ans et demi ! Ma vie a été courte ! Je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime.
Guy
Des mémoires de plus en plus individualisées
François Hollande célèbre « l'esprit de résistance » lors du transfert au Panthéon des cendres de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.
Ils sont quatre, deux hommes, deux femmes. Quatre destins, quatre chemins, quatre histoires qui donnent chair et visage à la République en en rappelant les valeurs. Quatre héros si différents par leurs origines, leurs opinions et leurs parcours. Qu'y a-t-il donc de commun entre ces deux femmes rescapées de l'enfer des camps et ces deux hommes disparus atrocement dans les derniers jours de l'Occupation ? Entre ces deux catholiques qui mirent leur vie au service de la dignité humaine et ces deux francs-maçons qui eurent très jeunes des responsabilités politiques importantes ? Entre ces deux sœurs de combat pour un monde commun et ces deux précurseurs d'une République nouvelle ?
Pourtant, ces deux femmes, ces deux hommes, chacun si singulier, ont été gouvernés par les mêmes forces, animés par les mêmes passions, soulevés par le même idéal, unis les uns, les autres par le même dépassement, indissociablement soudés par le même amour, l'amour de leur patrie. Quatre grandes Françaises et Français qui incarnent l'esprit de la Résistance, l'esprit de résistance. Face à l'humiliation, à l'Occupation, à la soumission, ils ont apporté la même réponse : ils ont dit non tout de suite, fermement, calmement.
Deux hommes, deux femmes, qui incarnent la Résistance. Pas toute la Résistance, la Résistance a tant de visages : des glorieux, des anonymes, ces soutiers de la gloire, ces soldats de l'ombre qui ont patiemment construit leurs réseaux. Ces partisans pour qui la défense de la patrie s'ajoutait à l'idéal qui les transcendait. Il y avait des Français, il y avait des étrangers qui étaient venus donner leur sang au sol qui les avait accueillis. La Résistance a tant de martyrs : des fusillés, des déportés, des torturés. Communistes, gaullistes, socialistes, radicaux et même royalistes. Ce qu'ils étaient hier, ils ne se le demandaient plus. Ce qu'ils voulaient être, c'est être tous compagnons de la même Libération.
François Hollande, Discours au Panthéon, 27 mai 2015
Des mémoires de plus en plus individualisées
D'une mémoire englobante:
le tombeau du martyr juif inconnu et le « cylindre du souvenir », tous deux installés en 1956 au Mémorial de la Shoah...
Des mémoires de plus en plus individualisées
Des mémoires sans cesse renouvelées
des troupes coloniales dans la victoire de 1945, celébrée en 2006
a) Des mémoires éclatées et concurrentes
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux de la défaite de 1940
Montauville (Meurthe-et-Moselle):
Mémorial national de la captivité
Notre-Dame de Lorette (Pas-de-Calais),
avec la tombe du soldat inconnu de 1940
Marckolsheim (Bas-Rhin):
Mémorial de la ligne Maginot
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux de la victoire et de la Libération
Toulon (Var):
Mémorial du Débarquement de Provence
Caen (Calvados):
Mémorial de la 2nde Guerre mondiale
Colleville (Calvados):
Mémorial d’Omaha Beach
Paris:
Mémorial de la Libération de Paris
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des mémoriaux: ceux des combats de la Résistance
Le Mont Mouchet (Haute-Loire):
Monument national aux maquis de France
Vassieux-en-Vercors (Drôme):
Mémorial de la Résistance
Le plateau des Glières (Haute-Savoie):
Monument national de la Résistance
Des mémoires éclatées et concurrentes
La multiplication des commémorations
le 27 janvier:
Journée de la mémoire de l'Holocauste et
de la prévention des crimes contre l'humanité,
le dernier dimanche d'avril:
Journée nationale du souvenir des victimes
et des héros de la Déportation
le 8 mai:
commémoration
de la victoire du 8 mai 1945
le 18 juin:
Journée nationale commémorative
de l'appel du général de Gaulle
le 16 juillet:
Journée nationale à la mémoire
des victimes des crimes racistes et antisémites
le 22 octobre:
Journée de la commémoration de Guy Môquet
et de ses 26 compagnons fusillés
b) Des mémoires de plus en plus individualisées
Des mémoires de plus en plus individualisées
Après son élection en 2007, Nicolas Sarkozy rend obligatoire la lecture de cette lettre dans les établissements scolaires, chaque 22 octobre
Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurai voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi, petit Papa, si je t’ai fait, ainsi qu’à petite Maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée. Un dernier adieu à tous mes amis et à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme. 17 ans et demi ! Ma vie a été courte ! Je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime.
Guy
Des mémoires de plus en plus individualisées
François Hollande célèbre « l'esprit de résistance » lors du transfert au Panthéon des cendres de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.
Ils sont quatre, deux hommes, deux femmes. Quatre destins, quatre chemins, quatre histoires qui donnent chair et visage à la République en en rappelant les valeurs. Quatre héros si différents par leurs origines, leurs opinions et leurs parcours. Qu'y a-t-il donc de commun entre ces deux femmes rescapées de l'enfer des camps et ces deux hommes disparus atrocement dans les derniers jours de l'Occupation ? Entre ces deux catholiques qui mirent leur vie au service de la dignité humaine et ces deux francs-maçons qui eurent très jeunes des responsabilités politiques importantes ? Entre ces deux sœurs de combat pour un monde commun et ces deux précurseurs d'une République nouvelle ?
Pourtant, ces deux femmes, ces deux hommes, chacun si singulier, ont été gouvernés par les mêmes forces, animés par les mêmes passions, soulevés par le même idéal, unis les uns, les autres par le même dépassement, indissociablement soudés par le même amour, l'amour de leur patrie. Quatre grandes Françaises et Français qui incarnent l'esprit de la Résistance, l'esprit de résistance. Face à l'humiliation, à l'Occupation, à la soumission, ils ont apporté la même réponse : ils ont dit non tout de suite, fermement, calmement.
Deux hommes, deux femmes, qui incarnent la Résistance. Pas toute la Résistance, la Résistance a tant de visages : des glorieux, des anonymes, ces soutiers de la gloire, ces soldats de l'ombre qui ont patiemment construit leurs réseaux. Ces partisans pour qui la défense de la patrie s'ajoutait à l'idéal qui les transcendait. Il y avait des Français, il y avait des étrangers qui étaient venus donner leur sang au sol qui les avait accueillis. La Résistance a tant de martyrs : des fusillés, des déportés, des torturés. Communistes, gaullistes, socialistes, radicaux et même royalistes. Ce qu'ils étaient hier, ils ne se le demandaient plus. Ce qu'ils voulaient être, c'est être tous compagnons de la même Libération.
François Hollande, Discours au Panthéon, 27 mai 2015
Des mémoires de plus en plus individualisées
c) Des mémoires sans cesse renouvelées
Des mémoires sans cesse renouvelées
des troupes coloniales dans la victoire de 1945, celébrée en 2006
Conclusion: un « devoir de mémoire » devenu excessif ?
Le transfert des cendres de Simone Veil au Panthéon le 1er juillet 2018 l’a encore montré, les multiples mémoires de la Seconde Guerre mondiale, désormais nourries du travail des historiens, sont dominées par le souvenir du génocide des juifs et sont très éloignées du résistancialisme des années 1945-1970.
Mais la multiplication des commémorations et des mémoriaux consacrés au souvenir de la guerre impose aussi de se demander si, aujourd’hui, on n’est pas passé d’un déficit à un excès de mémoire. S’il est en effet nécessaire de se souvenir de tout, peut-on – et doit-on – tout commémorer ?